Maurice Béjart est parti "faire danser les étoiles"
Il voulait faire de la danse "l’art du XXe siècle" : Maurice Béjart, qui vient de mourir à l’âge de 80 ans, aura réussi à charmer les foules avec des dizaines de chorégraphies métissées, à vocation universelle.
"J’ai sorti la danse des salles d’opéra pour l’implanter au Palais des sports, aux Jeux Olympiques, au Festival d’Avignon", disait Béjart, fier d’avoir fait connaître sa discipline à un large public.
Avec ses yeux d’un bleu perçant, sa carrure de colosse et sa barbichette pointue, Maurice Béjart, converti à l’islam en 1973, arbore une attitude mystique qui imprègne l’ensemble de son œuvre. Se sentant investi d’une mission quasi messianique, il révolutionne le spectacle vivant dès sa première création, "Symphonie pour un homme seul" (1955). Béjart change l’esprit de la danse, qui devient sacrée et sensuelle.
Le tutu se mue en collant, les jeans font irruption sur scène, les corps affirment leur puissance. Les interprètes, véritables êtres de chair, prennent vie, osant laisser libre cours à leur sensibilité.
Si ses réalisations ont fait le tour du monde (mais sans jamais vraiment s’imposer dans les pays anglo-saxons), il a construit sa carrière à partir de la Belgique, où il a dirigé sa troupe 27 ans durant, puis de la Suisse, de 1987 à aujourd’hui.
Il "est sans doute déja en train de faire danser les étoiles", a réagi l'ancien danseur étoile Patrick Dupond. "Le dieu de la danse est mort", a dit pour sa part la célèbre ballerine italienne Carla Fracci, 71 ans.
L'artiste, qui était en très mauvaise santé depuis plusieurs années, avait été hospitalisé la semaine dernière afin de suivre un traitement cardiaque et rénal "strict" qui devait durer plusieurs semaines. Il avait déjà été admis à l'hôpital le mois précédent, officiellement pour se remettre d'un "coup de fatigue".
Malgré sa santé défaillante, le créateur de quelque 140 chorégraphies a suivi quotidiennement jusqu'à son hospitalisation les activités de sa compagnie du Béjart Ballet de Lausanne (BBL), qu'il dirigeait depuis 1987.
Maurice Béjart a encore quitté brièvement l'hôpital pour assister quelques jours avant sa mort à la répétition de son dernier spectacle, le "Tour du Monde en 80 minutes" dont la première mondiale est programmée pour le 20 décembre à Lausanne. Le spectacle devrait ensuite venir à Paris, puis en tournée mondiale.
Né le 1er janvier 1927 à Marseille, Maurice Berger (qui devait plus tard adopter, en hommage à Molière, le patronyme de son épouse Armande Béjart) est le fils du philosophe Gaston Berger, qui fut membre de l’Institut.
Après une licence de philosophie, il abandonne ses études pour se consacrer à la danse, découverte à l’âge de 14 ans sur les conseils de son médecin pour "fortifier son corps malingre". Il suit une formation classique à Londres et Paris et signe sa première chorégraphie en 1952 pour un film suédois "L’oiseau de feu", dont il est le premier interprète.
Dénonçant rapidement un art "coupé des masses", Maurice Béjart innove avec "Symphonie pour un homme seul" (1955), sur la musique d’avant-garde de Pierre Henry et Pierre Schaeffer. Face à la résistance des cercles traditionnels, il doit s’exiler et rejoint Bruxelles, où son "Sacre du Printemps" reçoit un accueil triomphal au Théâtre royal de la Monnaie.
Un an plus tard, il y fonde le Ballet du XXe siècle : ses chorégraphies, montées à un rythme rapide dans la capitale belge avant de partir faire le tour du monde, rencontrent un vif succès.
A la suite d’un bras de fer avec le directeur de La Monnaie, Gerard Mortier, Maurice Béjart poursuit son aventure en Suisse en 1987 avec le Béjart Ballet Lausanne.
Il aura au total créé quelque 140 chorégraphies, qui expriment sa passion du voyage et son goût du métissage. Ses créations, parfois démesurées, mêlent les genres - cinéma, théâtre ou opéra - et traversent diverses époques, styles et civilisations.
Déconcertant par la variété de son inspiration, le chorégraphe marie Mozart et Freddie Mercury dans "Le Presbytère" (1997), réconcilie danse classique et rap dans "Enfant-roi" (2000), s’inspire d’une pièce de Beckett dans "L’heure exquise" (2002), et emprunte la musique originale de Pierre Henry pour "Phrases de quatuor" (2003).
Pédagogue, le chorégraphe tient aussi à transmettre son art : ses écoles (dont le nom fait référence à des divinités indiennes), "Mudra" à Bruxelles (1970) et Dakar (1977), "Rudra" à Lausanne (1992), ont formé quelques-uns des plus grands danseurs contemporains.
Parallèlement, il publie de nombreux romans, pièces de théâtre, livres souvenirs et journaux intimes. Energique et travailleur, peu mondain, Maurice Béjart a reçu des titres prestigieux, au Japon, en Belgique et en France où il est élu en 1994 à l’Académie des Beaux-Arts
Adieu à ce grand génie de la danse !